19.2.08

"L'assistant " Tomic et le Docteur Seselj

J'ai été sollicité en mai 2004 par le Bureau du procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie afin de rédiger un rapport sur l'idéologie de la Grande Serbie, ainsi que sur les idées politiques de Vojislav Seselj, président du Parti radical serbe (SRS).

J'ai remis la version définitive de mon rapport en juin 2005. J'ai été ensuite dans l'attente du début du procès qui a commencé une première fois en novembre 2006 avant d'être reporté à une date utérieure. Le procès a repris en novembre 2007. Mon témoignage est donc intervenu plus de deux ans après la remise de mon rapport. Le facteur temps est un élément à prendre en considération.

Avant mon apparition devant la Cour du TPIY le 29 janvier 2008, Vojislav Seselj aura tout fait pour que mon rapport ne soit pas validé et que je ne témoigne pas en qualité d'expert témoin. Néanmoins, la Cour a reconnu ma qualité d'expert dans une décision du 15 janvier 2008. Auparavant, il avait mobilisé ses "conseillers historiens" pour contester la validité de mon rapport. Chacun pourra apprécier le style et le niveau des critiques formulées dans le document suivant.

Quelques minutes avant que je ne sois interrogé par l'accusation, V. Seselj a attiré une nouvelle fois l'attention des juges sur le fait que je n'étais pas un "témoin impartial" mais un "opposant passionné au Parti radical serbe" :

"I have supplied you with five articles by Mr. Tomic, from which it can be seen that he is an ideologically passionate opponent of the Serbian Radical Party of which I'm still the president, and this was confirmed at the party congress in 2006. He uses political terms such as extremist, nationalist, ultra-nationalist, and he's a member of a political organization which is called, The French Association for Studies of the Balkans, which is conducting an anti-Serbian campaign and is engaged in destructive political activity and a member is the Montenegrin prince, Nikola Petrovic-Njegos, who has pretensions to the Montenegrin throne. This delegation was -- consistently advocated the break-up of the association of Serbia and Montenegro, so that he's involved in the break-up of Yugoslavia, in the break-up of Serbia, and I have provided you and the members of the Trial Chamber with these documents to show that I have evidence that he is not neutral and impartial. But it is up to you.I am in your hands, and I am ready for the cross-examination.(...)".

Bien entendu, l'Association française d'études sur les Balkans n'est pas un parti politique menant des "activités politiques destructrices". Elle n'est pas non plus un think-tank et ne formule pas, par conséquent, de recommandations à destination des décideurs. De surcroît, Nikola Petrovic-Njegos n'en est pas membre. Mais V. Seselj a peut-être confondu l'AFEBALK avec le Courrier des Balkans, qui par ailleurs n'est pas non plus un parti politique.

A défaut d'aborder sérieusement les points essentiels de mon rapport, Vojislav Seselj a perdu beaucoup de temps à tenter de me décrédibiliser auprès des juges, affirmant que je ne connaissais rien à l'histoire de la Serbie, que je ne suis "ni un intellectuel, ni un scientifique", que suis un "incompétent" :

"
First of all, Mr. President, I wish to prove to you that this witness is absolutely incompetent to testify as an expert on these issues. For him to be an expert in this trial his knowledge of these issues would have to be greater than mine. If I am a full-time professor we would need an eminent member of the academy here who would say he says this, this, this, and this and, that's his ideology. Yet here is a man who is hardly qualified to be an assistant professor, and he knows nothing. That's what I want to demonstrate to you. He's worse than Oberschall. He knows nothing about anything."

Je suis resté calme face à tous ces propos. Lui même qui prétend tout savoir ne connaissait pas le traité conclu entre la Yougoslavie et la Turquie en 1938 dans le but de déplacer 200 000 musulmans de Yougoslavie vers la Turquie. Lorsque j'ai mentionné cet accord, il a prétendu qu'il s'agissait d'un faux :

"Your Honour, I have noticed that the witness is expanding the scope of his expert report, of its contents, and I insist that he bring the secret document tomorrow, the document that was an agreement between the Government of Yugoslavia and Turkey, a document on moving 200.000 Muslims to Turkey. He should bring this document because I am claiming that this is fabricated".

Le premier jour du contre-interrogatoire, Vojislav Seselj a tenté de remettre en cause ma qualité d'expert. Il m'a soumis des phrases isolées tirées de certains de mes textes dans lesquelles je qualifie le Parti radical serbe de parti d'extrême-droite ou d'ultra-nationaliste :

V. Seselj : "Dans une phrase, au paragraphe 5, vous avez dit : "La scène politique est vraiment nettoyée. Le Parti radical serbe, formation de l'ultra droite et le parti de Vojislav Seselj se trouve presque détruit."

Je n'ai pas voulu me prononcer sur cette phrase ne reconnaissant pas là mon vocabulaire habituel. S'agissant d'un texte du 5 octobre 2000, il m'était difficile d'affirmer quoi que ce soit sans visualiser le texte en entier.

Or, la phrase était la suivante : "La scène politique a effectivement été "nettoyée" : le Parti radical serbe de Vojislav Seselj, formation ultra-nationaliste participant à la coalition gouvernementale en Serbie, et le Mouvement serbe du renouveau de Vuk Draskovic qui prétendait à la suprématie au sein de l’opposition ont été laminés."

Mais lorsque j'écrivais "nettoyée", je faisais référence à une déclaration de Slobodan Milosevic reprenant ici son registre de vocabulaire :

"Après avoir voté, le président yougoslave déclarait à la télévision officielle qu’il s’attendait à ce que "la scène politique de la Serbie soit déblayée..." Elle a été effectivement dégagée, mais pas comme il le prévoyait. Son parti, associé à la Gauche unifiée yougoslave, dirigée par son épouse, est en recul significatif partout en Serbie. Sa défaite est encore plus flagrante aux élections locales : à Belgrade, l’Opposition démocratique de Serbie obtient cent cinq mandats sur les cent dix que compte l’assemblée locale. L’opposition l’emporte dans une centaine de municipalités : Novi Sad, Nis, Kragujevac, Valjevo, Kraljevo, Krusevac, etc. La "coalition de gauche" ne se maintient que dans les zones périphériques sous-développées du sud et du sud-est de la Serbie. La scène politique a effectivement été "nettoyée" : le Parti radical serbe de Vojislav Seselj, formation ultra-nationaliste participant à la coalition gouvernementale en Serbie, et le Mouvement serbe du renouveau de Vuk Draskovic qui prétendait à la suprématie au sein de l’opposition ont été laminés. Les radicaux ont perdu la seule commune qu’ils administraient, Zemun, dans la banlieue de Belgrade. Le mouvement de Draskovic qui détenait le pouvoir local à Belgrade n’a plus un seul élu dans la capitale. La scène politique a connu un véritable séisme : l’Opposition démocratique de Serbie, emmenée par Vojislav Kostunica et Zoran Djindjic est devenue de loin la principale force politique du pays."

Lors du contre-interrogatoire, V. Seselj m'a posé des questions pendant une bonne heure sur le Moyen Âge, période qui n'était pas l'objet de mon rapport. Je n'ai pas écrit une histoire de la Serbie du Moyen-Âge à nos jours, mais un texte sur l'idéologie grand-serbe aux XIXe et XXe siècles. De fait, V. Seselj n'a pas su gérer son temps, quatre heures au total. Il s'en est rendu compte bien tardivement.

Il m'a reproché de n'avoir pas mentionné dans mon rapport les premiers Etats serbes créés aux IX et Xe siècles :

V. Seselj : Which Serbian historian considers that the true Serbian state begins with Stefan Nemanja? Give me his first and last name?

Y. Tomic : The history of Serbs of Vladimir Corovic, for instance.

V. Seselj : You didn't read that in Vladimir Corovic. You just think you did.


Et pourtant, Vladimir Corovic écrit dans son Istorija Srba (je cite ici l'édition de 1995 publié par BIGZ à Belgrade) :

"A partir de Nemanja commence le véritable Etat serbe médiéval ; jusqu'à son apparition nous n'avions que l'histoire de tribus, des mouvements locaux et des tentatives individuelles, mais nous n'avions pas de véritable pensée étatique et de créations étatiques durables." (p. 131)

Vojislav Seselj utilise Vladimir Corovic comme bon lui semble.

V. Seselj a prétendu que j'avais utilisé de faux documents à propos du mouvement de la Ravna Gora (appelé également mouvement tchetnik) fabriqués par les communistes au moment du procès contre Draza Mihailovic en 1946. Mais il n'a pas apporté les preuves qu'il s'agissait de faux. Or, les documents que j'ai cités, en particulier la directive de Draza Mihailovic aux commandants tchetniks monténégrins Djordje Lasic et Pavle Djurisic du 20 décembre 1941 et les rapports rédigés par Pavle Djurisic à propos d'opérations contre des musulmans de Bosnie et du Sandzak en janvier et février 1943 ne sont pas des faux.

Une copie du premier document, ou en tout cas son contenu, s'est retrouvée en 1942 entre les mains de Luca Pietromarchi à la tête du "Cabinet de l'armistice et de la paix" chargé des affaires économiques et politiques des pays européens sous domination italienne (H. James Burgwyn, Empire on the Adriatic : Mussolini's conquest of Yugoslavia 1941-1943, New York, Enigma Books, 2005, p. 144). Un faux fabriqué par les communistes en 1946 dans les mains de dirigeants italiens en 1942 ? Cela ne tient pas la route.

Nikola Kostic, historien spécialiste du Mouvement de la Ravna Gora, à propos des rapports de Pavle Djurisic déclare au quotidien Vecernje novosti, le 15 janvier 2007, que les originaux existent. Sauf, qu'il ne mentionne qu'un des rapports alors qu'il en existe deux. Nikola Kostic a contribué par ses écrits à la réhabilitation du mouvement dirigé par le général Draza Mihailovic.

De fait, je constate que dès que l'on évoque la face d'ombre du mouvement de la Ravna Gora, ses partisans évoquent des falsifications de l'histoire.

Après mon témoignage, le juge Antonetti a attiré l'attention de M. Seselj sur son manque de sérieux :

"However, since this trial started, I must note, and we must note,that Mr. Seselj has a very hard time giving the documents he wants to show ahead of time. Most of the time these documents are not translated into English, which is a handicap for us. Secondly, I don't have the documents myself in hand. Normally, usually these documents are just presented on the ELMO and used as of the ELMO, and I don't even have them in my hands.

I want to be able to hold this document in order to read it from top to bottom and in order to study it. When it is on the ELMO, I believe this is not possible.

Mr. Seselj has been preparing for this trial for five years, and I'm quite surprised that after five years, we have witnesses that are heard but are that heard in a very chaotic fashion. No file has been put together, documents are not correctly presented, and documents come out of the blue, if I could say so, during cross-examination.

I think it's still possible, you know, to get back on course. I'm sure it is very possible for everyone to prepare themselves effectively, because what's important, and this is what we have in Rule 90(F), deals with evidence.

When the Prosecution the file, the binders, and has the documents together in the binder and asks for them to be tendered, they are admitted; but if Defence is always talking about documents that are not
admitted, how can a decision be made in the end? The decision will only be made on the documents that have been admitted, and sometimes, unfortunately, for Defence only the documents from the Prosecution were
correctly admitted.

So as President of this Trial Chamber, as Judge, I must absolutly draw Mr. Seselj's attention on this problem.

Mr. Seselj, you usually make great statements, but these statements are not corroborated by any document whatsoever; and, therefore, your words have a very -- have very little weight, if any. I'm telling you this now, but Judge Robinson, Presiding Judge of the President Milosevic case, already said that to Mr. Milosevic, because Milosevic was doing exactly the same thing. Mr. Milosevic was stating facts but without backing it by documents, and the Judges wanted documents. You cannot state anything without backing it by documents, with documents, because otherwise there will be no probative value to your words.

There are two essential elements you must take into account when you present your evidence. One, you must make sure that it is relevant. When you're asking a question, when you're tendering a document or showing
a document, you must absolutely wonder first whether it's relevant or not.

If it is not relevant, the Judges will not even take into account your demonstration. They will not understand the point of your questions,which is why my fellow Judges and myself have wondered at times, you know,where the relevance was in all this. So please, try and tell Judges that you're going to ask a question for a specific purpose: "I'm asking this question because it deals with paragraph X in the indictment, where this is said, and I'm going to prove the exact on site." Then we'll understand.

Let me give you an example. Yesterday, we spent a great amount of time on the 9th and 10th century, and some could really wonder whether this was relevant or not. We really had to delve into the crux of the matter and go very deeply to eventually come up with a connection. So we must absolutely save time. Remember, as Judges, we are duty-bound to make sure that we save time and we don't waste time. So when you think that maybe there's a problem of relevance, it's true that this is a very complex case. When there is a problem of relevance, shed light on our minds, on minds of the bunch, and say: "I'm asking this question for this reason because this is what I want to demonstrate." Then we understand, and then you prove your point. We know what the relevance is.

The second element that is absolute essential is probative value.It's useless to try and defend yourself if the evidence that you're admitting or at least tendering has hardly any probative value, if any, because it will not be used in the final decision. I'm reminding you of all this because you absolutely must keep this mind. I'm not the first one to say this. In the Milosevic case, Judge Robinson told Mr. Milosevic that since he was defending himself, since he had no lawyer, no counsel, he said, "I will help you. I will give you some elements of advice." This is exactly what I'm doing, because a fair trial is a trial where everybody has equality of arms. If I find out that this equality of arms is not respected, if Defence is in jeopardy because technically it has failings, I must absolutely remind you of this and tell you of this."

1 commentaire:

Unknown a dit…

Bruka i sramota !

Bez komentara "Gospodine" Tomicu...