Depuis que Vojislav Seselj a déclaré lors de son témoignage au procès Milosevic que ce dernier n'était pas un défenseur de la Grande Serbie au contraire de lui-même, leader du Parti radical serbe, nombre d'opposants au TPIY et à la politique extérieure américaine, mais pas uniquement, ont trouvé un argument pour affirmer que Milosevic ne souhaitait pas la création d'une Grande Serbie, mais le maitien de la Yougoslavie.
Cette assertion est bien entendu fausse. J'ai repris l'ouvrage de l'ancien président yougoslave, Borisav Jovic, Poslednji dani SFRJ : izvodi iz dnevnika (Les derniers jours de la RSFY : extraits de mon journal), Beograd, Politika, 1995, pour le prouver. Borisav Jovic, collaborateur de Slobodan Milosevic au sein de la Ligue des communistes de Serbie, a été l'avant-dernier président de la Yougoslavie communiste.
Or que peut-on constater en parcourant cet ouvrage? Au printemps 1990, alors que les premières élections pluralistes ont eu lieu en Croatie et en Slovénie, l'Armée populaire yougoslave, Borisav Jovic et Slobodan Milosevic se prononcent pour l'expulsion de la Croatie et de la Slovénie de la Yougoslavie (autour du 28 juin 1990). Slobodan Milosevic avance l'option de l'amputation territoriale de la Croatie en prévoyant le rattachement ou le maintien dans l'Etat yougoslave (sous domination de la Serbie) des communes de la Lika, du Kordun et de la Banija, régions de Croatie constituant la Krajina (p. 161 de l'ouvrage en question) où un référendum serait organisé dans un second temps sur le maitien de ces territoires ou pas dans la Yougoslavie.
A cette époque, l'Armée populaire yougoslave a déjà un plan d'action pour le Kosovo, la Croatie et la Slovénie. Un plan pour l'ensemble du pays est en cours d'élaboration (p. 162).
Début septembre, l'armée se déclare prête à intervenir militairement en Slovénie dès ce même mois, en Croatie au mois d'octobre et au Kosovo à n'importe quel moment (p. 190).
Les dirigeants serbes refusent que les Serbes de Croatie deviennent une minorité nationale en Croatie et invoquent le droit à l'autodétermination des peuples.
Au cours de l'été 1990, une carte ethnique de l'espace serbe est en cours d'élaboration autour notamment de Dobrica Cosic, écrivain communiste se présentant comme le père spirituel de la nation serbe (p. 193). A cette époque Cosic est sollicité par le président yougoslave, Borisav Jovic, ainsi que par Slobodan Milosevic, soucieux d'avoir son avis sur l'évolution des évènements en Yougoslavie.
A cette époque (été/automne 1990), de nombreuses discussions sont menées au sein des institutions yougoslaves, en particulier au sein de la Présidence collégiale yougoslave, sur l'avenir de la Yougoslavie. Alors que la Croatie et la Slovénie sont en faveur d'une confédération, la Macédoine et la Bosnie-Herzégovine se prononcent pour une fédération à la condtion que les deux premières républiques mentionnées décident d'en faire partie. Les dirigeants serbes et monténégrins souhaitent le maintien de la Yougoslavie ou la division des territoires des républiques souhaitant faire sécession sur une base ethnique (p. 208), sous entendu la Croatie à l'époque, la Slovénie n'intéressant pas la Serbie. Les dirigeants serbes ont conscience qu'une guerre civile est vraisemblablemnt inévitable en cas de sécession de la Croatie pour permettre aux Serbes de cette république de rester dans l'Etat yougoslave, en fait un Etat modelé par la Serbie.
En janvier 1991, pour Slobodan Milosevic la solution de la crise yougoslave passe par la prise de contrôle des territoires peuplés de Serbes en Croatie de la part de l'Armée populaire yougoslave (p. 262).
En janvier 1991, bien avant la proclamation des indépendances croate et slovène (fin juin 1991), l'Armée populaire yougoslave se prononce pour le renversement des autorités en Croatie et en Slovénie, ainsi qu'en Macédoine et Bosnie-Herzégovine. En Croatie, il est prévu de renforcer sur les plans institutionnel et politique la Krajina serbe et de soutenir sa sécession de la Croatie (p. 277).
Milosevic approuve la teneur du plan de l'armée (le 28 février 1991, p. 281).
Je pourrais poursuivre ici la liste des indications montrant avec clarté que l'option de la sécession des territoires de Croatie peuplés de Serbes était envisagée par les dirigeants de la Serbie dès 1990. A cette époque Milosevic sollicite les conseils de Dobrica Cosic qui est en faveur d'un redécoupage des frontières et de l'unification des pays serbes sous un même toit étatique. Effectivement, Milosevic n'a peut-être pas employé publiquement l'expression "Grande Serbie", mais force est de constater qu'il a oeuvré à sa création.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire