21.11.05

La Serbie cinq ans après la chute de Milosevic (1)

Cinq ans après la chute du régime de Slobodan Milosevic, l'historien ou le chercheur d'une manière générale dispose d'une certaine distance pour évaluer les évènements de septembre et octobre 2000. Si dans l'immediateté des évènements, on a parlé de révolution (Révolution du 5 octobre 2000) pour caractériser le retrait de la vie politique de Slobodan Milosevic, ce terme est-il pour autant approprié? Quels sont les éléments de continuité et de discontinuité?

Il est important de noter qu'il n'y a pas eu une rupture totale le 5 octobre 2000 avec le régime politique de Slobodan Milosevic. En effet, les élections à l'époque concernaient la présidence et le parlement fédéral, les communes et le parlement de la province de Voïvodine. Le changement se produit donc principalement à l'échelle fédérale et non au sein des institutions de Serbie où se trouvent pourtant l'essentiel du pouvoir. L'Opposition démocratique de Serbie (DOS) parviendra à obtenir la composition d'un nouveau gouvernement en Serbie composé de membres du Parti socialiste de Serbie, du Mouvement serbe du renouveau et de sa large coalition.

Pendant une période de plus de trois mois (octobre-janvier 2001), les institutions de Serbie ne sont pas encore sous le contrôle de l'Opposition démocratique de Serbie. Il faudra attendre les élections législatives de décembre 2000 et la formation du gouvernement de Zoran Djindjic en janvier 2001 pour qu'enfin la DOS puisse prétendre à contrôler les rouages du pouvoir.

Il y a donc eu en Serbie une période de plus de trois mois au cours de laquelle les acteurs du régime de Slobodan Milosevic ont pu agir et en particulier effacer les traces de leurs actions les plus noires et contestables. Pendant cette période, le chef du Service de sécurité d'Etat, Radomir Markovic, homme ayant agi pour le compte de Milosevic, demeure en poste grâce à l'intervention du nouveau président yougoslave, Vojislav Kostunica, qui ne souhaite pas de purges au sein de l'appareil sécuritaire. Ce dernier n'était pas favorable au scénario insurrectionel pour mettre fin à l'action néfaste de Milosevic. Il sera l'homme qui tout en symbolisant la rupture avec le passé immédiat assurera la continuité avec l'idéologie nationaliste du régime de Milosevic. Son ambition a toujours été de lier question nationale et démocratie.

Dans quelle mesure les nouvelles autorités démocratiques contrôlaient-elles la totalité de l'appareil sécuritaire (police et armée)? La question se pose au vue des évènements qui se sont produits entre 2001 et 2003 : désobéissance de l'Unité pour les opérations spéciales (JSO) en novembre 2001, attentat contre Zoran Djindjic en février 2003. Si de nombreuses personnes ont quitté d'elles-mêmes les services de renseignements sur lesquels s'appuyait Milosevic pour gouverner ou ont été limogées, des segments de ces mêmes services ne sont-ils pas encore au service de l'ancien président yougoslave? La question est ouverte.

Parmi les éléments de continuité, il faut souligner le fait que la Constitution de la Serbie élaborée en 1990 pour l'exercice du pouvoir par Slobodan Milosevic n'a toujours pas été remplacée par un nouveau texte fondamental. L'Opposition démocratique de Serbie avait annoncé un nouveau texte en 2001 et Vojislav Kostunica en avait fait sa priorité en mars 2004 une fois devenu Premier ministre de Serbie. Aujourd'hui, en novembre 2005, nous sommes toujours loin de l'adoption d'une nouvelle constitution qui marquerait non seulement sur le plan symbolique mais aussi sur les plans politique, juridique et constitutionnel une véritable rupture avec le régime autoritaire de Milosevic.

Sur le plan idéologique, force est de constater que le nationalisme est toujours puissant en Serbie. Le gouvernement de Vojislav Kostunica, formé en mars 2004, joue un rôle important dans le maintien et l'entretien de cette idéologie. Il a été davantage empressé de s'en prendre au gouvernement de Zoran Djindic en dénonçant l'opération Sablje (Sabre) qui avait suivi l'attentat contre le Premier ministre serbe en février 2003 afin de réduire le crime organisé en Serbie. Au lieu de dénoncer les dérives du régime autoritaire de Milosevic, Kostunica et son parti, le DSS, se sont attaqués exclusivement au Parti démocrate, ossature du gouvernemnt précédent. Le gouvernement de Kostunica d'ailleurs n'a pu être constitué que grâce au soutien apporté par les quelques députés du Parti socialiste de Milosevic. Kostunica a remis en jeu le parti de Milosevic alors qu'il était en voie d'extinction sur le plan éléctoral. Kostunica n'a pas renoncé à l'idéologie de la Grande Serbie, à savoir à l'idée de l'unification de l'ensemble des pays serbes (Serbie, Kosovo, Bosnie-Herzégovine, territoires serbes de Croatie, Monténégro). C'est la raison pour laquelle il s'oppose fermement à l'indépendance du Monténégro, ainsi qu'à celle du Kosovo. De même, il se prononce pour le renforcement des liens entre la Republika srpska et la Serbie.

J'ai réalisé un entretien avec Vojislav Kostunica en février 2000 et j'avais constaté ses réticences vis-à-vis des partis de l'opposition démocratique qui ne mettaient pas suffisamment l'accent sur la question nationale serbe. Depuis la création de son parti en 1992, V. Kostunica n'a pas modifié ses principales orientations idéologiques. S'il est attaché à un ordre politique démocratique, il manifeste un certain rejet du monde occidental et estime que la Serbie doit davantage s'appuyer sur la Russie et la Chine. En cela, ses positions ne diffèrent pas de celles de Slobodan Milosevic et de son épouse Mirjana Markovic dirigeante autrefois de la Gauche unifiée yougoslave. Entre 1993 et 2000, son parti avait été plutôt passif contre le régime de Milosevic. Il n'avait été à l'initiative d'aucune contestation. De surcroît, il avait refusé d'apporter son soutien aux citoyens qui défiaient le pouvoir au cours de l'hiver 1996-1997 consécutivement au refus des autorités de reconnaître la défaite du Parti socialiste de Serbie aux élections locales.

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