Samedi 18 mai 2013 des millions
de visiteurs se rendront dans les musées lors de la Nuit européenne qui est
leur est consacrée. En Bosnie-Herzégovine, cette nuit nous laissera un goût
amer car les grands musées nationaux de ce pays sont menacés d'extinction.
Alors que l'on commémorera à Sarajevo à coup de millions d'euros, en juin 2014,
le centenaire de l'éclatement de la Première Guerre mondiale, les grandes
institutions culturelles de ce pays continueront de sombrer.
La Bosnie-Herzégovine qui a été
affectée par la guerre entre 1992 et 1995, est un pays singulier sur sur le
continent. En effet, sa constitution n'a pas été écrite par ses représentants
politiques ni approuvée par ses citoyens. Elle a été élaborée principalement
par les diplomates américains lors des négociations de paix qui on été
conduites sur la base militaire de Dayton aux Etats-Unis. Elle constitue
l'annexe 4 des accords de paix en question.
La Bosnie-Herzégovine y a été divisée en deux entités: la Fédération de
Bosnie-Herzégovine (dénommée communément fédération croato-bosniaque)
comprenant dix cantons et la République serbe (Republika Srpska). Le texte
fondamental n'a pas prévu de ministère de la Culture au niveau des institutions
centrales (article 3). Les compétences du gouvernement de la Bosnie-Herzégovine
concernent principalement la politique étrangère, les relations économiques
extérieures, la politique douanière, etc. Il y certes désormais un ministère
des Affaires civiles devant traiter des affaires propres à l'ensemble du pays.
Mais son action relève de la coordination et ne remplace pas celle d'un
véritable ministère de la Culture. Les financements qu'il assure le sont dans
le cadre de projets spécifiques et ne constituent pas des budgets de
fonctionnement classiques. Aussi, un certain nombre d'institutions culturelles
d'envergure nationale sont demeurées sans tutelles et ne sont pas financées à
la hauteur de leurs besoins réels. Ainsi, le plus ancien musée de
Bosnie-Herzégovine fondée en 1888 à l'époque austro-hongroise, le Musée
national (Zemaljski muzej) a fermé ses portes au public le 4 octobre
2012. Ce musée possède d'importantes collections dans les domaines de
l'archéologie, des sciences naturelles, et de l'ethnologie du pays.
Le Musée historique de
Bosnie-Herzégovine voisin, l'ancien musée de la révolution populaire de
Bosnie-Herzégovine, fondé en novembre 1945, vivote également depuis 1995, sans
moyens significatifs pour maintenir et rénover ses locaux, ainsi que pour
préserver ses collections. Il est encore ouvert au public malgré les grandes
difficultés rencontrées. Deux expositions peuvent y êtres visitées : la
première, sur le siège de Sarajevo, et
la seconde, sur l'histoire de la Bosnie-Herzégovine à travers les siècles.
Dans le nouveau cadre
institutionnel hérité des accords de Dayton, le statut juridique de ces deux
institutions culturelles n'est plus défini. Les institutions centrales de
Bosnie-Herzégovine, de la Fédération croato-bosniaque et du canton de Sarajevo
se renvoient la balle ne s'estimant pas responsables de la situation. Les
autorités de la République serbe dénigrant la Bosnie-Herzégovine en tant
qu'Etat ne feront, de leur côté, aucun geste pour les financer. Ces deux musées
ne sont pas les seules institutions dans cette situation dramatique. Parmi les autres
structures, on compte la Bibliothèque nationale et universitaire dont le
bâtiment (vijećnica) avait été bombardé en août 1992 et les collections par
conséquent incendiées en grande partie. Aujourd'hui, ses locaux se trouvent
dans une ancienne caserne de l'Armée populaire yougoslave transformé en campus
de l'Université de Sarajevo. A ces
principaux établissements, il faut encore ajouter la Cinémathèque de
Bosnie-Herzégovine, la Galerie des arts, le Musée de la littérature et de l'art
théâtral, etc.
S'agit-il juste d'une question de
moyens financiers ou bien de questions politiques et idéologiques? Les acteurs
politiques locaux sont-ils les seuls responsables ? Les grandes puissances
occidentales qui ont défini le cadre institutionnel n'ont-elles pas également
une part de responsabilité ? Les nouvelles élites politiques du pays
n'auraient-elles aucun intérêt pour la culture? Cette situation est la
conséquence de la division du pays en deux entités, sans compter que la
fédération croato-bosniaque connaît également ses propres divisions internes.
La réalité du pouvoir est dans les entités et non au niveau central. Or, le
cadre couvert par ces institutions est
bien l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine. Qui, parmi les dirigeants politiques
des deux entités, s'intéresse réellement à toute la Bosnie-Herzégovine? De
surcroît, les collections de certaines de ces institutions concernent un passé
récent, celui de la Yougoslavie socialiste, rejetée en grande partie par la
nouvelle classe dirigeante. On peut l'observer également à travers le sort fait
aux monuments commémoratifs dédiés aux victimes de la Deuxième Guerre mondiale,
tous à l'abandon. En circulant à Sarajevo et en Bosnie-Herzégovine, on a
l'impression souvent que l'histoire de ce "pays", commence en 1992. La
mémoire de la guerre de 1992-1995 a supplanté celle des autres conflits ainsi
que d'importants pans de l'histoire de cette région.
Les responsables de ces
institutions culturelles ont alerté depuis de nombreuses années déjà les
autorités politiques de leur pays, ainsi que les représentants de la communauté
internationale à Sarajevo. Sans effet. Lors de cette 9ème Nuit européenne des
musées, il convient d'interpeller l'ensemble des acteurs politiques et
culturels européens afin de sortir les institutions culturelles nationales de
Bosnie-Herzégovine de la situation de
misère où on les a placées. Au delà, il serait temps de se pencher sur le sort
de la
Bosnie-Herzégovine qui ne progresse pas sur la voie de
l'adhésion à l'Union européenne et qui se trouve dans une impasse du fait du
cadre constitutionnel instauré par les
grandes puissances occidentales ayant imposé une logique communautariste et
ethnique favorisant les discriminations et entravant l'expression d'un
sentiment bosnien supranational.